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Couple de serrage d'une vis

Un jour, j'ai demandé à un ancien monteur à quel couple doit se serrer une vis. La réponse ? "Un quart de tour avant que ça casse !"
Bien que ce point de vue soit plutôt défendable, cela ne nous apporte pas grand chose... Nous allons donc voir ici comment définir le couple de serrage d'une vis en fonction de son diamètre, sa qualité, l'outillage, etc

Attention ! La relation couple / effort de serrage est dépendante de nombreux paramètres, et en particulier des coefficients de frottement.
Ces paramètres étant difficilement maîtrisables, un serrage au couple reste incertain.

Relation couple de serrage / tension de la vis

Une relation entre le couple et l'effort a été établie par Kellermann & Klein, à la suite d'expérimentations. Cette relation a servi de base à plusieurs normes (notamment ISO 16047 et DIN 946) et se présente ainsi :

Cote vis Kellerman Klein
C = Ft . ( 0,161.P +
µt . Dt /1,715
+
µh . Dh /2
)

Avec :

  • C : Couple de serrage en N.m
  • Ft : Tension de la vis en kN
  • P : Pas de la vis en mm
  • µt : Coefficient de frottement du filetage
  • Dt : Diamètre sur flancs en mm (équivalent à D2)
    Dt = diamètre nominal - 0,6495 x pas
  • µh : Coefficient de frottement sous tête
  • Dh : Diamètre moyen sous tête en mm
    Dh = (diamètre tête de vis + diamètre trou de passage) / 2

Comme évoqué plus haut, les résultats de ce calcul sont relativement incertains... En effet, de nombreux paramètres influent sur les coefficients µt et µh : les matières, la lubrification, les états de surface, la dureté, le nombre de serrages / desserrages,...
A titre indicatif, ci-dessous quelques valeurs de référence pour l'acier :


Influence du moyen de serrage

Après avoir lu cette première partie, vous vous dites peut-être : "Ça va, l'erreur est quand même réduite, je prends pas trop de risques..."
Et bien, vous vous trompez... Un autre paramètre influe grandement, et c'est le moyen de serrage. En effet, ce n'est pas parce que vous réglez votre clé dynamométrique sur 50 N.m que vous allez réellement serrer à 50 N.m : ce type d'outil a une imprécision qui peut aller jusque 50% !
Différentes classes de précision existent et sont indiquées sur les outils de serrage (avec également, parfois, l'incertitude)

Pour avoir un ordre d'idée, une clé dynamométrique "simple" sera souvent en classe C20, et une clé dynamométrique électronique ou hydraulique sera en C10 (on peut descendre jusqu'à 3% d'incertitude avec certains matériels...)
En revanche, une visseuse à crabots ou une clé à chocs simple sera plutôt en classe C50...

Sur des matériels plus anciens (avant la révision de la NF E25-030 en 2014), les classes de précision ne sont pas exprimées de la même manière. Les classes étaient exprimées ainsi :


Attention

Attention : dans tous les cas, le serrage doit être fait avec un outil ayant fait l'objet d'un contrôle périodique auprès d'un organisme de métrologie certifié !


La contrainte de torsion

Peu importe le moyen de serrage au couple utilisé, une contrainte "parasite" de torsion va être appliquée et la valeur de celle-ci est également variable...
On considère qu'elle peut atteindre jusque 30% de la contrainte de traction appliquée à la vis.

Habituellement, on dimensionne un assemblage boulonné en considérant que le couple de serrage doit générer une contrainte dans la vis de 90% de la limite élastique au maximum. Or, cette contrainte dépend de la tension de la vis d'une part (et est calculée à partir de la formule de Kellerman & Klein ci-dessus et de la section résistante de la vis), mais également de la contrainte de torsion parasite, dépendant elle-même de la tension...
Lorsque ces deux contraintes sont connues, on peut définir la contrainte équivalente de Von Mises appliquée à la vis : c'est cette contrainte qui ne devra pas excéder 90% de la limite élastique.

Mais alors, quel couple définir ?

Il y a trois solutions. La première, la plus simple et la plus précise : nous demander ! Nous avons développé un utilitaire de calcul dédié à la vérification des assemblages vissés, permettant entre autres de définir une consigne de serrage en fonction de la vis et de tous les paramètres.
Cet utilitaire de calcul est disponible ici : Vérification d'assemblages vissés.

La seconde solution : réaliser soi-même le calcul complet à partir de la norme NF E25-030-1. C'est forcément la "bonne" façon de faire, cependant, outre le prix de la norme, il vous faudra un peu de temps pour l'assimiler et savoir l'utiliser...

Enfin, la troisième solution à utiliser uniquement en première approche : on va estimer un couple de vissage et une tension de vis en négligeant la contrainte de torsion parasite. Pour "compenser" on prendra une contrainte limite beaucoup plus faible (75% de la limite élastique au lieu de 90%, par exemple).
Encore une fois, il faut être prudent avec cette solution : on se base sur une approximation !
Nous détaillons la procédure au travers d'un exemple dans l'encart ci-dessous :

Exemple de calcul (en première approche)

Attention : ce calcul est une approximation ! Nous vous recommandons d'utiliser notre utilitaire de calcul de vérification d'assemblages vissés

On va partir de la vis : son diamètre et sa qualité. On considère que la tension de serrage (sans torsion parasite) doit représenter au maximum 75% de la limite d'élasticité de la vis.
Un petit rappel de cette valeur ? Consultez l'article sur les classes de qualité de visserie.
Ensuite, on va diviser cette tension par un facteur en fonction du moyen de serrage (1,2 pour une incertitude de 20% par exemple).
Enfin, on va définir les valeurs Dt, Dh, µt, et µht en fonction de la conception, ce qui nous permettra de déduire le couple de vissage. Plus qu'à calculer !
Données d'entrée :

  • Vis CHC M12x50 classe 10.9
    • Contrainte maxi : 75% Re
    • Re= 940 Mpa
    • Section de la vis 84,3 mm²
    • Pas 1,75 mm
    • Diamètre de tête 18mm
  • Fixation de pièces en acier usinées
  • Serrage avec clé dynamométrique à réarmement auto (classe C15)
  • Vis correctement lubrifiée au montage

Pour notre vis classe 10.9, on applique donc une tension max Ft de :

Ft = 0,75 * 940 * 84,3/1,15 = 51680 N = 51,680 kN

On a également :

µt = 0,1 et µh = 0,1
Dt = 12 - 0,6495 x 1,75 = 10,86
Dh = 0,5 x (18 + 13,5) = 15,75

Finalement, on en déduit le couple de serrage :

C = 51,680 x (0,161 x 1,75 + 0,1 x 10,86/1,715 + 0,1 x 15,75/2 )
C ≈ 88 N.m

Attention Attention : les coefficients de frottement pouvant être très variables, il est souvent pertinent de ne pas faire un calcul avec une valeur de µt et µh, mais de se définir des bornes mini / maxi.
Pour reprendre notre exemple ci-dessus, si on ne se base plus sur un coef de frottement à 0,1 mais qu'on se dit que le coef sera "entre 0,09 et 0,13" par exemple, on trouve un couple de serrage final variant entre 81 N.m et 110 N.m.
Comme vous le voyez, la différence est très importante ! D'où l'importance de maitriser au mieux les facteurs influençant les coefficients de frottement...


Quelques autres paramètres

D'autres paramètres influent également sur la relation couple / tension, mais ils ne seront pas évoqués dans le détail ici car assez complexes et pas forcément vitaux pour des applications classiques. En revanche, ces paramètres sont très importants dans les domaines de l'aéronautique et du nucléaire entre autres...
A titre d'exemple, ci-dessous des éléments impactant le rapport couple / tension :

Un autre paramètre (et pas des moindres) entre en action : l'humain. En effet, d'une personne à l'autre, les résultats pourront être sensiblement différents lors d'un serrage au couple (vitesse, sensibilité, double déclenchement...)
Ce paramètre, par définition, est difficilement maîtrisable. Cependant, il peut être intéressant d'essayer d'harmoniser les méthodologies des équipes de monteurs, afin de réduire cet impact.

Les bonnes pratiques

Avant tout, petit rappel : si vous devez fixer un élément du commerce dont la tension de serrage impacte le bon fonctionnement, il faut toujours respecter les préconisations du fournisseur.

Ensuite, pour le cas général, il faut s'efforcer de diminuer le couple tout en gardant une tension maximale dans la vis pour avoir un serrage efficace. En effet, plus le couple est élevé plus la contrainte parasite de torsion est importante. En plus de contraindre davantage (voire trop) la vis, cette contrainte de torsion favorise le desserrage en cas de vibrations.

Les calculs ci-dessus permettent de comprendre un peu comment fonctionne le serrage, et donc d'en déduire quelques bonnes pratiques lors d'un serrage au couple :


Comment améliorer le contrôle du serrage ?

Le serrage au couple est très utilisé car simple à mettre en œuvre et, somme toutes, plus précis et répétable que "un quart de tour avant que ça casse".
Cependant, selon les applications, il arrive que l'effort de serrage nécessite précision et répétabilité... Dans ce cas, il faudra peut-être oublier la clé dynamo et envisager un autre moyen de serrage.
Ci-dessous quelques exemples :


Et pour la visserie inox ?

Et oui, l'inox ce n'est jamais pareil... Ce qui va changer principalement, c'est les coefficients de frottement, qui sont très variables avec de l'inox. Déjà, on aura rarement le même coefficient dans le filetage et sous-tête, car l'inox a tendance à "coller" dans le filetage; le coefficient variera également beaucoup suivant si on est vissé dans de l'inox ou de l'alu.
Enfin, attention : lorsqu'on va serrer au couple, les filets pourront avoir tendance à se ronger (car soumis à une contrainte importante). On peut limiter ce phénomène en lubrifiant convenablement.
Bref, à moins que votre conception ne l'impose, essayez d'éviter l'inox pour un serrage au couple !

En savoir plus

Si vous souhaitez approfondir le sujet et définir plus précisément les couples de serrage, vous pouvez consulter les normes suivantes :

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